72 heures au paradis
...ou comment retrouver la motivation pour gravir les pentes.
Et la motivation, c'est de me rendre utile, proposer mon aide sur une grande course du secteur : le challenge du Montcalm et plus précisément la PicaPica. Il m'était difficile de choisir un secteur tellement j'affectionne la vallée du Vicdessos, je crois que mes doigts sur le clavier ont décidé pour moi au moment de remplir le formulaire d'inscription. Sans regret!
J'intègre donc l'équipe des t(h)arés du Fourcat, que je ne connais pas encore. La plupart d'entre eux sont partis de la centrale de Pradières ce matin, moi je monte seule en début d'après-midi (jeudi 17 août), par l'étang d'Izourt (vidé pour des travaux d'étanchéité) et les orris de la Caudière. Je connais les lieux, pourtant je vais prendre l'itinéraire le plus stressant pour moi (--> fougères beurk beurk beurk) c'est-à-dire celui des vaches (rive G du ruisseau d'Arties). Pffff, je commence bien! Vivement que j'arrive en terrain plus minéral!
Je commence à éprouver le plaisir de revenir ici en attaquant la montée sèche vers les orris de la Caudière, mais je ne suis pas en grande forme et je me pose à chaque fois que je trouve un rocher qui ne m'obligera pas à faire trop d'efforts pour m'asseoir! Bah, rien ne presse...
Peu à peu, de rochers en myrtilles et de dalles en framboises, je me rapproche de mon p'tit paradis et le plaisir s'intensifie encore en voyant le refuge et son environnement magique!
Yes! Je vais enfin faire connaissance avec une équipe bien joyeuse menée avec brio par la pétillante Sandrine! J'arrive pile poil au moment où Sandra - la seule du groupe que je connaisse un peu - offre une bière pour son anniversaire. Youpi! J'en ai bien besoin! Merci Sandra!
Que cette bonne humeur environnante fait du bien!
Apéro, briefing, repas, étoiles, la soirée est très agréable... Puisque j'en ai la possibilité, je vais dormir dans une des tentes installées près du refuge. C'est royal!
Vendredi 18/08 : après un rapide petit déjeuner, Christophe, Alain et moi partons pour notre poste, sous le col de Tristagne.
Je vais y rester le temps de pointer une vingtaine de coureurs, puis je vais rejoindre Bernard au col car son coéquipier (Jean-Marc) est descendu versant andorran pour remplacer un signaleur absent. Nous ne sommes pas trop de deux car il faut à la fois faire une marque sur le dossard de chaque concurrent et pointer leur numéro et heure d'arrivée dans un tableau. Globalement, les passionnés - car il faut l'être - qui se sont engagés sur cette course de montagne sont très agréables, quasiment tous ont un mot gentil, une parole, un sourire, une grimace, un remerciement, et... leur lucidité:-) Quelques-uns tout de même avoueront ne pas être à la hauteur de ce challenge, et avoir sous-estimé la difficulté de l'épreuve. Tandis que beaucoup reprennent courage en voyant le refuge (ravito), quelques-uns savent que leur aventure est bientôt terminée. Ils ont fait un quart du parcours et ne se voient pas continuer. Il leur faudra quand même monter au col de Malcaras pour rejoindre la base de vie de Soulcem et rendre leur dossard.
Etre bénévole sur cette course, c'est un condensé d'émotions, il y a des mecs qui rient, d'autres qui pleurent, qui disent avoir tout lâché dans la montée, des larmes qui leur permettent d'évacuer toutes les souffrances du quotidien, et moi j'en pleure rien que de l'écrire, c'est fort, c'est puissant, c'est géant! Il y a aussi ceux qui ont la force tranquille, qui papotent. Il y a la rencontre entre un polonais et un groupe de randonneurs Tchèques qui deviennent d'un coup plus bruyants qu'une troupe de Catalans. Il y a Ahmed, signaleur au col de Malcaras que l'on entend crier des encourageremts à chaque fois qu'un coureur arrive là-haut. Plus tard, ça sera l'équipe postée au mirador de Peyreguils que l'on entendra donner de la voix. Il y a des vibrations, des énergies de partout! Et puis y'a même mon pote de rando, mon compagnon de HRP qui surgit au détour d'un rocher. Il est cuit (selon ses dires, parce que moi je le trouve pas mal) mais ça ne m'empêche pas de l'engueuler, parce qu'il ne m'a pas dit qu'il participait! Bon, à sa décharge, il me répond s'être inscrit au dernier moment; le prénom sur son dossard l'atteste : il ne s'appelle plus Ben mais Serge :-)
Pendant quelques heures, le défilé de fous va être continu, on n'a pas le temps de s'ennuyer, toujours la pente nous amène un coureur une coureuse un illuminé un désespéré une tranquille un barbu un torse nu une poupée... je ne saurais compter le nombre de fois où j'ai crié bravo, courage, montré du doigt le refuge, dit bientôt le ravito, attention prudence dans la descente... ils seront 208 si mes souvenirs sont bons, à passer jusqu'à 14h20 environ.
Puis c'est au tour de Pierre, le serre-file, de déboucher au col. C'est fini... je suis encore chargée de toutes ces émotions positives. Jean-Marc nous rejoint, il est encore tôt, il arrive à convaincre Bernard de faire un aller/retour au pic de Tristagne.
C'est ainsi que tous les 3 gravissons ce très joli sommet, histoire de prolonger le plaisir d'être là-haut.
Retour au refuge; certains membres de l'équipe des t(h)arés redescendent ce soir, d'autres restent. On échange notre vécu, notre ressenti, cette expérience si riche! La première féminine à être passée au Fourcat alimente pas mal les conversations, elle a fait sensation on dirait! Comme le dit Christophe, il a buggué quand il l'a vue, ce que je confirme : il était tellement contemplatif que j'ai dû l'interpeller plusieurs fois pour qu'il me donne l'heure de son passage!!! D'ailleurs, cette nana, je ne l'ai pas trop vue, occupée que j'étais à regarder Christophe la regarder. Scène de folie!
Je suis surprise de voir un autre Christophe, un papa d'élève, qui me dit que son groupe (les Cageots) donne un petit concert demain soir ici même. Cool... mais dommage, je ne pourrai y assister. Il y a aussi le couple d'amis de mes voisins, Viviane et Marco.
Nous partageons encore un bon repas au refuge, Ahmed qui devait nous faire danser est aphone, alors calmement, nous allons nous coucher.
Samedi 19 août. Les t(h)arés qui ont passé la nuit au refuge s'apprêtent à redescendre. En ce qui me concerne, avant de regagner la vallée, je vais aller donner quelques coups de pagaie dans le grand étang Fourcat. C'est la troisième fois en 10 ans, mais l'émotion est toujours aussi intacte. Je propose à Viviane de m'accompagner, Marco est parti au Tristagne avec Christophe. Elle accepte bien volontiers! C'est un instant arraché au temps, à l'espace, on ne sait plus où on se situe, sur l'eau, dans le ciel, sur l'onde ou sur la roche tant le reflet est parfait! Un pur rêve! Merci Guillaume d'avoir accepté de nous prêter l'embarcation!
Après cette navigation magique et un moment riche partagé avec Viviane, je pars en quête de mon second objectif de la journée : les étangs de Marqueille. Cela fait un moment que je souhaite découvrir ces joyaux cachés, c'est l'occasion ou jamais, car je n'ai pas spécialement envie de gravir un sommet aujourd'hui.
Je prends donc le chemin vers les étangs de Petsiguer (juste pour les apercevoir de loin - on dirait que ça manque un peu d'eau!)
puis reviens à l'étang de la Goueille; hier, depuis le Tristagne, Bernard m'a montré le passage permettant de basculer sur les étangs de Marqueille. Il n'y a plus qu'à!
Je remonte donc un goulet sans difficultés qui me fait atteindre un collet d'où enfin, après tant de temps, je découvre ces étangs cachés! J'en crierai presque de joie! Mais chut... il faut respecter le silence rendu à la montagne, qui lui a un peu été volé hier par le passage de 450 coureurs, il faut bien le dire! Calme absolu, à part la sonnaille d'une brebis (égarée?)
Je mitraille, je mitraille, tant qu'à être ici, autant en profiter, je fais le tour du grand étang, je mange, je m'asperge, je profite, je suis bien! Alors, bien sûr que le pic de l'Aspre me fait de l'oeil, mais je résiste. Etre ici suffit largement à mon bonheur!
Je prends le chemin du retour, tranquillement, et quand je bascule de l'autre côté, je vais chercher l'extrémité S de l'étang de la Goueille, toujours sans difficulté.
Je mitraille une première fois ce magnifique étang et je ne peux m'empêcher de monter au port du même nom, histoire de voir la vallée de Gnioure. À gauche, le pic de Bourbonne, un autre objectif.
Mon regard ne peut s'empêcher de se tourner vers un petit promontoire à D du col où il y a 3 ans, un frôlement de peau m'avait fait ressentir que j'allais vivre une relation intense, quelque chose de fort dont il ne reste rien aujourd'hui, sinon de l'incompréhension et du silence. Mais l'heure n'est pas à la tristesse, haut les coeurs, Mumu!
Je passe devant 3 randonneurs qui font la sieste avant de me poser à mon tour, sans savoir que ce sont Jean-Claude, Ahmed et Jean-Luc, 3 t(h)arés. On ne se reconnaît que lorsqu'ils passent devant moi, du coup on retourne ensemble au refuge. Eux ont eu la chance de pouvoir réserver avant qu'il ne soit complet et vont pouvoir assister au concert des Cageots! La chance!
Claire (une maman d'élève), Agnès, Loïc et leur fille Lolie (mes voisins) ainsi que Fredo, Thérèse, Ronan (?) que je ne connais pas viennent d'arriver. Le groupe est au complet. Comme j'ai un duvet et que je n'ai pas du tout eu froid les 2 nuits précédentes, je demande aux gentils gardiens s'ils ont un matelas à me prêter. Et la réponse est positive! Youhou! Je vais pouvoir assister au concert et cerise sur le gâteau, dormir confortablement à la belle étoile! Je suis trop contente!
Ça fait trop bizarre de voir les Orlunais dans ce contexte! Je me régale. Tout le monde se régale. Entre le canöé, les étangs de Marqueille, le concert et la nuit que je m'apprête à passer sous une voûte céleste remplie d'étoiles, je suis comblée, je suis heureuse!
Dimanche 20 août. Je redescends, puisqu'il le faut bien - quoique - avec Jean-Claude, Jean-Luc et Ahmed. Bye-bye le Fourcat!
C'est bien que je ne sois pas seule pour arriver à la plaine des sports, car l'épreuve pour moi, c'est là, maintenant : savoir qu'immanquablement, mes yeux à un moment ou un autre vont se poser sur une personne que je n'ai plus envie de voir, du moins pas tant que je n'aurai pas eu un mot de sa part. Je passe ce cap, partage mes derniers instants avec quelques-uns de mes compagnes/compagnons de ces derniers jours, mais à un moment donné trop c'est trop, il faut que je parte.
J'ai le coeur au bord des larmes, et même un peu plus que ça, ça déborde, ça dégueule, j'ai déjà la nostalgie de retourner à ma solitude; c'est un déchirement mais je garde en moi ces moments partagés avec Sandrine et toute l'équipe des t(h)arés ainsi qu'avec les coureurs et toutes les personnes rencontrées au refuge (et les gardiens aussi) comme un trésor, je suis prête à recommencer car les courses du Challenge du Montcalm ne tournent pas autour d'une seule personne mais d'un ensemble de passionnés et c'est bien ce qui importe.
Merci, merci à vous tous pour ces 72 heures de partage et d'émotions et à très bientôt!