Courir
COURIR
1- Evocations lointaines
Quand cela a-t’il commencé ? Aucune idée !
Tôt, je suppose, si on en juge cette photo de mes premiers pas.
Aussi loin que je me souvienne, je n’ai jamais pratiqué de sport ; c’était pas la priorité dans la famille et mon côté sauvage m’empêchait de m’inscrire en club.
Récemment, un élève m’a rapporté que sa grand-mère – à l’époque notre voisine – lui a dit que petite, je courais toujours partout. Je ne sais pas d’où elle tient ça. Aucun souvenir de mon côté. Seulement celui d’avoir fait des concours (avec moi-même, peut-être aussi avec le frangin) de marche le plus loin possible sur le bitume brûlant de la route ou sur les cailloux de l’allée du jardin. A pieds nus, bien sûr. Déjà!
Au collège, le sport était une souffrance. Se retrouver dans un vestiaire avec ses semblables (de qui je me sentais pourtant si différente à l’époque) ? L’horreur ! Et puis cette prof qui au cours d’une séance de danse avec des rubans m’a dit -en appuyant bien fort dessus - que j’avais les bras tordus, parce que je n’arrivais pas à les mettre bien droits. C'est la seule phrase qui me reste de 4 années d'EPS au collège, le seul souvenir!
Au lycée c’était cool, le prof ne faisait pas l’appel et s’accommodait bien de l’absence de la classe complète à son cours (il avait laissé entendre que celui-ci était facultatif ; vous pensez bien que je préférais aller rejoindre mon petit copain dans ces cas-là…)
On peut dire que je fus mal aiguillée dès le départ, sans aucun doute.
La course à pieds , je l’ai vécue par procuration, je pourrais presque dire que je l’ai subie ! Mon compagnon, gagnant une course de village - sans jamais avoir chaussé les baskets auparavant - s’est pris au jeu, toujours en amateur, malgré la promesse d’un bel avenir sportif.
Et c’est vrai qu’il courait bien. C’était naturel pour lui. Il m’est arrivé de l’accompagner. Une fois ou deux par an. Une heure de sortie, une semaine de courbatures, presque 6 mois d’arrêt ! Voilà à quoi se résument mes débuts ! De toutes façons, il y avait toujours autre chose à faire : enfants, boulot, boulot, enfants, ménage, cuisine , enfants, études.
2 - Le pied à l’étrier ?
Les études, ah oui. Je crois que c’est comme ça que ça a commencé, en fait. Au moment du choix de sport pour un concours, j’étais bien embêtée : je n’en avais pratiqué aucun, aucun ne me bottait vraiment !
Par élimination, je me suis tournée vers la course d’orientation. Cela m'a tout de suite plu et puis je ne m’en sortais pas trop mal ! Courir avec la tête et les jambes, voilà une idée qu’elle me plaisait ! (ce qu’un journaliste rapportera plus tard dans un article consacré à la CO qui me fait beaucoup rire aujourd’hui !).
Au début, je crois me souvenir que j’ai participé à deux ou trois courses organisées par les clubs de ma région pour me familiariser avec la discipline : carte, légende - dépression, trou, talweg, butte, souche, courbe de niveau, arbre particulier - , boussole. Et puis je me suis jetée à l’eau, ou plutôt dans les ronces le jour de l’examen. Balises 1 2 3 4 5 6 7 8 vite trouvées, trop facile ce sport ! Je vais m’en tirer avec une bonne note. Et puis la 9, bien cachée, celle-ci. Je tourne, tourne, tourne autour d'elle sans jamais la trouver et le temps aussi tourne. Boum, badaboum, quand je tombe enfin dessus, celui-ci a doublé… La bonne note est perdue. Me reste à rentrer, en passant par la numéro 10, facile.
Ça sera toujours le même scénario dans pratiquement toutes les courses d’orientation que je ferai : toujours une balise qui me prend autant de temps que toutes les autres réunies !
Mais avant ça, avant de pratiquer avec régularité, j’ai fait mes premiers pas, les vrais (enfin, pas encore tout à fait) dans le monde du sport nature, avec des raids orientation multisport : un par an, et là, rebelote : pas d’entraînement, une journée de plaisir, un ongle de doigt de pied qui a trop vu l’eau et qui met 6 mois à tomber, autant à repousser, et ping, prête à la fin de cette première année à repartir pour un autre raid : VTT, tir à l’arc, course à pied, trail, watercross, tyrolienne, escalade, canoë, le tout en orientation, et surtout, surtout, en équipe, ce qui fut de loin ma motivation première.
Un jour, mon compagnon me dit : « ça serait bien que tu fasses un peu de sport, non ? » lui qui allait au vtt tous les dimanche matins. "D’accord, chéri, alors on échange nos rôles ? Tu fais la cuisine pour la semaine et tu t'occupes des enfants pendant que moi, je vais me dépenser en forêt". Pas d’accord. Tentative avortée, on passe à autre chose (toujours la même chose, en somme : enfants, cuisine, boulot, enfants, études, repassage, études, ménage, enfants, couple, maison ; pas de place pour le sport, toujours pas).
Mon sport, je le vivais toujours par procuration, avec ma fille, qui contrairement à moi, pratiquait beaucoup : danse, natation, judo, puis l'athlétisme, qui fut une véritable révélation.
Avec mon fils aussi, dans une moindre mesure (à ce jour, il s'est découvert une passion pour le VTT)
3 - La découverte
Est-ce une provocation, un sursaut, un réveil ? Un jour j’ai chaussé les baskets, puis un autre jour, et encore un. Cette fois, je n’ai plus laissé passer 6 mois ou un an entre deux sorties ; ces dernières se sont rapprochées, j’ai aimé. Courir seule, seule dans la belle forêt, dans le Mont aussi, que j’ai appris à découvrir au fil de mes pérégrinations. Endroit sauvage et peu fréquenté, qui m’a permis de me faire les cuisses avant de découvrir la montagne. Sortir des sentiers battus, s’aventurer dans les chemins, monter, toujours monter, quand tout le monde restait en bas. La belle époque. La mode a fait son œuvre depuis.
Trails, raids multisports, course d’orientation, de jour, de nuit, seule ou en équipe, les mercredis et les week-end ont alors pris une autre tournure, une autre dimension, une autre saveur.
Petit à petit, naturellement, je me suis inscrite à quelques courses. Pour découvrir de nouveaux parcours, de nouveaux horizons. Pour partager ce plaisir, ne pas être seule. Pour l'ambiance, souvent.
Pour orienter mon choix, il fallait que quelque chose de particulier retienne mon attention. Le premier fut celui-ci. On ne se ferait pas!
Podiums qui s’enchaînent, étonnement de mon entourage qui croit que j’ai fait ça toute ma vie… Ben non, il m’aura fallu plus de trente-six ans pour découvrir l'existence du mot « sport » !
Pour découvrir aussi qu’à peine mes premiers pas avec des baskets aux pieds, je passe chez les vétérans 1 ! Et à l’instant où j’écris, je suis déjà dans la dernière année de cette catégorie ; bientôt, je monte d’un grade. Le temps qui passe, en somme.
Alors pourquoi je cours ?
4 - Pourquoi je cours ?
Impossible de répondre à cette question !
Tout ce que je sais, c’est que ce n’est pas une addiction, et je ne voudrais pas que ça le devienne. Je peux passer des mois sans courir sans toutefois en éprouver de manque. Je peux courir tous les jours ou presque pendant plusieurs semaines et m’arrêter du jour au lendemain, sans raison, juste parce que je n’ai plus envie, ça ne m’intéresse plus.
Ça n’est pas un refuge non plus, et je pleurerais si un jour je le voyais comme ça. Parce que les lieux où je cours méritent plus de respect que cela.
Ça n’est pas pour maigrir, courir aurait même tendance à me faire grossir !
J’y associe volontiers deux mots : plaisir et liberté.
Plaisir et liberté de sauter dans mes baskets à n’importe quelle heure du jour et de la nuit, n’importe quand, n’importe où, pour un parcours et une durée indéterminées. Souvent seule, parfois accompagnée.
Je peux me dire avant de partir que c’est pour une heure, et finalement rallonger le parcours. Parce que je me sens bien, parce qu’il fait beau, parce que j’ai envie. Je peux au contraire le raccourcir, parce que ce jour-là, la forme n’est pas au rendez-vous. Je n’aime pas me faire du mal, et je trouverais ça débile, d’ailleurs. Pourquoi vouloir infliger des souffrances à mon corps alors que rien ne m’y oblige ?
Qu’est ce que ça m’apporterait ?
Il semble, au fil de mes lectures, que mon avis soit loin d’être partagé ; cela m’est égal. Moi, je n’associe pas les sorties dans la nature à un effort qui se mérite, une souffrance, une douleur que l'on voudrait s'infliger. Parfois je me dis que c’est peut-être parce que j’ai commencé sur le tard et que personne ne m’a inculqué l’esprit de compétition (tant mieux). Ou est-ce dans l’air du temps, le reflet de la société qui veut toujours mettre tout le monde en concurrence plutôt que de favoriser l’entr’aide ?
Je cours au feeling, à l’envie, à l’écoute.
Surtout ne pas s’astreindre, ne pas se forcer.
Je n’ai rien à prouver, ni à moi ni aux autres.
Si j’avais quelque chose à prouver, je le ferais dans un autre domaine.
Comme je le dis souvent à ceux qui me reprochent - et oui, ça arrive - de ne pas m’entraîner (tu gagnerais des places dans le classement) : « et qu’est-ce que ça changerait à ma vie de monter sur le podium, ou de gagner une place sur ce podium ? Est-ce que ma vie s’en trouverait améliorée ? Est-ce que je joue ma vie sur une course ? Non ! Alors, laissez-moi le plasir, mon plaisir. Si le vôtre, c’est de vous mesurer aux autres, je vous le laisse volontiers ».
J’ai éprouvé d’autres souffrances, inutile d’en ajouter une ici !
En fait, je sais pourquoi je cours quand j’ai fini de courir. C’est après coup que je réalise.
Et je m’aperçois que tout ou presque est question de ressentis, d"émotions.
L’émotion de courir à Amélie les Bains, sur la Vallespir Skyrace, parce que ce lieu est chargé affectivement et que malgré mes nombreuses randonnées dans le coin, je n’avais jamais foulé le Saint-Sauveur.
Alors, oui, ce jour-là, c’est vrai, le sentiment d'émotion s'est mêlé à la fierté quand je suis montée sur le podium et que j’ai emporté mon caillou-trophée, petit bout de montagne symbolique.
Mais ma fierté fut encore plus grande, quand l’année suivante, une fille est venue vers moi et m’a remerciée de lui avoir donné envie de faire cette course de montagne à travers mon récit qui l’avait émue.
Fierté aussi le jour du Marato dels Cims en Andorre, où je serais montée sur le podium si je n’avais pas raté la remise des récompenses, parce que je ne pouvais pas croire faire une si belle place après plusieurs mois de maladie et d’immobilité.
Là, j’ai compris ce que courir m’avait enseigné : le trail m’a permis de connaître mon corps, de l’écouter, et de garder en mémoire tous les pas effectués ; quand j’ai pu remettre les baskets après une période d'arrêt, il s’est souvenu de tout ce que j’avais fait auparavant.
Il m'a enseigné aussi à ne pas avoir de regret et à profiter des instants où notre corps, notre santé, nous permettent de faire ce que l'on a envie, quand on le peut, car cet instant peut vite être anéanti. Je suis donc fière d'avoir reçu deux trophées, celui du Défi Sud Trail et celui du Challenge du Vallespir juste après avoir eu la confirmation que j'étais atteinte de la maladie de Lyme. Etre heureuse d'avoir pu accomplir certaines choses quand je le pouvais, et quand je ne pouvais plus, regarder le chemin parcouru avec joie et bonheur, surtout pas avec le désespoir et la crainte de ne plus renouveler ces expériences. Et je les renouvelle à présent, même si certaines choses ont changé.
Mais les émotions sont ce qui marquent le plus mes souvenirs : celle de partager un moment unique et fort quand je cours en équipe, celle de sentir la pluie sur mon visage, celle d’atteindre le sommet du Canigou alors que j’étais encore une fille des plaines, de me retrouver sur un trail après avoir été alpaguée par son organisateur, de retrouver les copains de l’Oise pour une sortie nocturne qui se perpétue chaque fin d’année, d’entrer dans une citadelle sous un ciel étoilé enchanteur et une lune magique, celle de verser une larme quand la musique de départ commence et que le coeur bat déjà plus fort, celle de parvenir sur le point culminant de l’Andorre autrement, celle encore d’aller faire tinter une cloche au bout d’un Casamanya extrem.
C’est avoir parfois cette sensation de voler, de se sentir légère, légère…
C'est aussi depuis peu de temps ce besoin d'évacuer les comprimés chimiques qui m'aident à trouver le sommeil. Sensation qu'en courant, je fais sortir de mon corps cette merde qui m'empoisonne. C'est du coup trouver un nouveau souffle, une libération...
A bientôt pour de nouvelles aventures!
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Et une interview de Jean Giono sur les petits bonheurs de la vie... et la souffrance